Hein? Quoi?

Lever au milieu de la tundra et comme il a plu et comme j’avais laissé mes chaussettes à sécher dehors, je suis aigri. J’ai mal partout, Faltad aussi mais je ne sais pas si ça doit me rassurer. On part vers le nord et on traverse le village en bord de lac qui est partiellement occupé par des chasseurs. On doit traverser le bout du lac (il doit y avoir un super mot norvégien pour ça mais je ne le connais pas), ce n’est pas profond et des gens ont improvisé une sorte de mini pont avec des pierres un peu comme des pas japonais. Ce n’est pas vraiment adapté aux bretons non-habitués à porter des sacs de 15kg qui portent des sacs de 15kg (il doit y avoir un super mot norvégien pour ça aussi), mais on arrive en face au sec.

Une fois sur le chemin, il y a quelques paysans qui cherchent leurs moutons dans la vallée. Dit comme ça c’est naze, mais en fait non. Ils ont des jumelles pour repérer les animaux au loin, des 4x4s de Texas Rangers pour aller vite, des amis au loin dans la vallée parce que c’est bien d’avoir des amis au loin dans la vallée, des talkie-walkies pour se synchroniser, et surtout un super chien qui nous fait une démonstration de comment il ramène 4/5 moutons en quelques secondes. C’est très efficace!

On continue sur le chemin et vers 11h on commence à voir des Pokémons au loin! Comme on avait oublié le nom de ces animaux sauvages, on les a rebaptisés une bonne dizaine de fois avec des noms plus ou moins adaptés (vache, chose, buffle, taureau, machin, mammouth, …). Ce sont en fait des Musk Ox (moussecox avec l’accent Frih Deh Bi De Uh), des bovins au poil long avec des cornes qui vivent dans les régions polaires, ils ont été ré-introduits dans la vallée il y a 60 ans, et sont donc sauvages. On s’arrête vers 13h pour manger au bord d’une rivière et je sors la canne à pêche pour avoir autre chose que du riz rond à manger pour ce soir. En 10 secondes je prends une truite de 35cm et je me dis que ça va être facile de trouver à manger. 3h plus tard, je ne me dis plus que ça va être facile de trouver à manger. Je n’ai pris qu’une autre truite, on garde ça pour plus tard et on continue notre route.

L’endroit a un coté magique: une sorte de vallée entre deux montagnes, dans laquelle s’infiltre un torrent, où vivent des Pokémons, où il n’y a pas d’autres humanoïdes, où il fait beau. L’endroit a aussi un coté sombre: on croise une carcasse de Pokémon qui a été rongée probablement par des animaux étranges au milieu d’un passage désertique, ça fait drôle.

On arrive à un pont gardé par un troupeau de Pokémons (il doit y avoir 9/10 têtes). Faltad me dira plus tard que les guides conseillent de ne pas s’approcher à moins de 200 mètres des mammouths sous peine de se faire charger, mais ça, on ne le sait pas à ce moment là. De toutes façons on a pas le choix, c’est le seul chemin possible, donc on s’avance prudemment en mode safari photo (autant mourir en prenant une photo cool). À environs 20-30 mètres du troupeau, une grosse tête sort de nulle part devant nous à 5-6 mètres. Moment de silence, Faltad recule doucement, moi je ne fais rien car je ne sais pas quoi faire, il y a bien 10km de plat derrière nous donc si on se fait charger, je doute être suffisamment endurant pour tenir plus de 17 secondes. Après un silence gênant, le Pokémon s’enfuit brusquement, genre “ZOMG DES GENS QUI NOUS DÉVISAGENT EN SILENCE FUYONS VERS LOIN DERRIÈRE LE PONT”, entrainant avec lui tous ses potes dans un nuage de poussière. Le troupeau s’immobilise à 50 mètres du pont et nous regarde passer en s’orientant toujours face à nous, on dirait des animaux en 2D, c’est assez stresssant.

Toutes ces aventures nous ont fait perdre du temps et Faltad propose de prendre un super raccourci qui monte un peu mais nous évite de faire une boucle de 10km de marche. Deux bonnes heures plus tard, après avoir compris que “ça monte un peu sur la carte” signifie en vrai “ça monte à mort et on va trop galérer et on va avoir mal partout et on va regretter chaque mètre et on va vouloir se débarrasser des sacs et …”, on est à Snøheim à 1400/1500 mètres d’altitude, on a une belle vue sur toute la vallée et on devine qu’on est pas loin du Snøhetta.

À Snøheim il y a un refuge, on avait pris du bois en montant en pensant faire un feu mais on se dit que ça peut être cool de profiter de la chaleur du refuge. Le refuge fait aussi restaurant pour les gens montant le Snøhetta la journée, il y a pas mal de monde et ça fait bizarre après avoir fait deux jours dans la nature en mode sauvage. Il y a un repas hyper cher mais après une rapide conversion couronnes norvégiennes vers euros, tout en s’imaginant ce que serait mâcher du riz rond avec de la moutarde à 100 mètres de gens qui mangent bien, on décide d’y aller. Comme on a mal mangé jusque là, on est affamé et on prend tout ce qu’on peut. Genre il y a du pain commun à toute la table qui rapidement se fait dévaliser par ce qui doit ressembler du point de vue d’un Norvégien de type classique à deux clodos: on ne sent pas bon, on a de la terre sur les joues, on parle français, et on jette des regards furtifs sur tout ce qui à l’air mangeable. On prend deux fois de la soupe aux champignons, la serveuse nous en rapporte de la table de derrière en voyant qu’on racle le fond du récipient, on doit bien faire pitié. J’abbrège un peu ce passage car j’ai honte, on notera juste qu’on s’attendait à un méga déssert, on a dû faire une drôle de tête quand on a vu du riz au lait, qui fort heureusement n’était pas rond.

Après ça je discute dehors avec deux Norvégiennes qui me disent que le temps de demain pour l’ascension du Snøhetta est favorable: “No frog tomorrow, cool weather. You are lucky, frog is no good”, ça devait être un lapsus révélateur vu que j’ai dit que j’étais Français. Puis on va se laver (Faltad a trouvé des toilettes avec un lavabo, c’est la classe), avant de s’en aller monter la tente de nuit dans un endroit rocailleux peint avec une sorte de petite mousse croustillante (rien trouvé de mieux pour décrire ce phénomène intéressant, peut-être qu’il y avait des choses bizarres dans la soupe aux champignons). En rentrant dans la tente, Faltad note qu’il a l’impression d’écraser des gateaux à chaque fois qu’il bouge. On s’endort en pensant à l’ascension de demain.

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