Dinosaurus
Je me réveille à 6h30 au milieu des nuages: il fait jour mais je ne vois pas au delà de 50 mètres. Je prends ma canne à pêche pour aller tenter ma chance dans un lac indiqué sur la carte à quelques kms plus au nord pendant que Faltad continue de dormir. Tout est désert et le temps est très volatile: par moments le soleil apparait quelques secondes et alors je peux voir à 1km à la ronde, 30 secondes plus tard je suis de nouveau dans les nuages. C’est assez bizarre comme ambiance car le refuge est endormi, il n’y a personne, tout est silencieux. Je ne trouve pas le lac que je cherchais, je n’ai pas pris de boussole ni de carte en me disant que c’était impossible de rater un tel lac en étant sobre. Je ne l’ai pas volée et je retourne à la tente où Faltad est reveillé.
On prend la direction du Snøhetta vers 9h15. on est Samedi et il y a pas mal de norvégiens sur les chemins avec des petits sacs à dos pour la journée. Ma carte n’indique pas de passage entre la face ouest et la face est du Snøhetta mais Faltad a vu une carte au refuge où les deux se rejoignent par des pointillés, on en déduit brillamment que l’on peut passer d’un flanc à l’autre. Tous les norvégiens vont à l’est et ça ne nous inquiète pas: on va à l’ouest comme des grands (note pour plus tard: toujours se fier aux norvégiens sans se poser de questions). On arrive au pied d’un glacier qui s’effondre dans un lac en face d’une partie rocheuse bordée par un pierrier. C’est impressionnant et les distances sont complètement faussées: de loin on a l’impression que c’est facile mais plus on avance plus c’est compliqué, on a mal à toutes les articulations avec les sacs de 15kg.
Arrivés vers le milieu du pierrier une bonne heure plus tard, on se fait dépasser par un groupe de norvégiens. À tout hasard on demande si le chemin entre les deux facades est difficile, ceux à quoi ils répondent: “What path? Do you have ropes?”. Puis ils nous parlent de Daft Punk avant de continuer leur montée. On fait demi-tour et on décide de prendre à nouveau un raccourci intelligent: au lieu de faire le tour du glacier, on va couper par le lac qui n’a pas l’air profond. Évidemment c’est une idée de con, c’est trop l’arrache, on doit sauter de pierre en pierre pour ne pas finir la journée les pieds mouillés. Par moments j’entends de gros ploufs et je me retourne pour voir Faltad qui regarde si ses chaussures ont pris l’eau. Par miracle on est secs une fois de l’autre coté.
Il est 11h30, et on doit recommencer pas loin de zéro, on a mal partout, on a faim, on s’arrête toutes les 2/3 minutes pour reprendre notre souffle, et c’est comme ça pendant 2h. Je maudis le norvégien qui a semé des noix de cajou en faisant la montée, si tu lis ces lignes, j’espère que tu as très faim et que ton frigo est vide. Vers 1h30, je touche enfin au but. Faltad qui avait coupé par le glacier arrive quelques minutes plus tard et me regarde: je suis tout essouflé et en train de sourire comme un con qui prépare sa blague depuis des mois. Il connait pertinement la question que je vais lui poser d’une seconde à l’autre: Alors, ça fait quoi d’être fan de Phil Collins?
Il nous faut bien 10 minutes pour reprendre notre souffle. On vient de faire 4h dans des pierriers, on arrive en haut d’où on a une vue sur tout Dovrefjell à des dizaines de kilomètres, c’est génial. Par contre on a faim, et Faltad a la bonne idée de se souvenir de nos paquets surprises (de mystérieux sachets au contenu inconnu gracieusement offerts par des âmes bienveillantes avant notre départ). On décide d’ouvrir le mien, que j’avais judicieusement planqué tout au fond du sac à la place du sachet de riz qui avait explosé au premier jour (probablement l’endroit le moins sûr à des kilomètres à la ronde). Dedans, il y a une tablette de chocolat et des… des DINOSAURUS! Ils sont un peu écrasés dans tous les sens et on a du mal à deviner qu’à la base ça avait une forme.
Après quelques minutes riches en chocolat, on continue vers… Euh? il est où le chemin? Il n’y en a pas vraiment et on doit suivre des balises sur une crête étroite et ventense, ça siffle tellement entre les rochers que ça fait un bruit d’avion. On poursuit sur une zone de la crête un peu moins exposée au vent et on va plus vite. Je fais un pas de trop et bim, je me prends une grosse rafale de vent et je perds l’équilibre, à ma gauche il y a une falaise qui doit faire 500 mètres de profondeur, grosse montée d’adrénaline. On continue plus doucement et on rejoint enfin le pierrier de l’autre coté, qui descend vers le nord dans une vallée où aucun norvégien ne s’aventure (ça me rapelle un truc mais je ne sais pas quoi). C’est un chemin compliqué et assez technique, la descente est lente et longue.
On s’arrête un moment pour manger du bon riz rond, qu’importe j’ai toujours le goût des Dinosaurus dans la bouche. Quand on pense avoir fini, il y a encore des barrières de pierres, au final la descente nous aura pris près de 4h, avant de retrouver de la tundra rousse. On fait une pause et je vois un tapis de sol de la même couleur que celui de Faltad dans les airs direction le Snøhetta. Je mets quelques millisecondes avant de faire le rapprochement et… dans ma tête résonne un Oh oh… Alerte au gogole les enfants. Faltad court à fond derrière malgré la descente qu’on vient de faire, et le rattrape 100 mètres plus loin. On traverse des marécages et j’entends un gros PLOUF suivit d’un juron, décidément, c’est la journée de Faltad: il est jusqu’aux genous dans une sorte de mousse sous laquelle il y avait plein d’eau, pas la peine de demander si ses chaussures ont pris l’eau cette fois.
En bas de la vallée le vent est un gros problème, il y a des rafales à 80-90km/h en permanence et aucun abris pour s’en protéger. On arrive à faire un feu au milieu d’un petit four improvisé avec des pierres plates, le vent ne perturbe pas trop les flammes, on fait cuire les truites de la veille et on fait des pâtes avec (repas royal comparé au riz rond qui craque sous les dents). En face de nous, la vallée avec le coucher de soleil, c’est cool. Sans vent, ça serait magique. À 21h30 on est dans la tente pour faire un point carte et écrire un peu. Le premier objectif du voyage est rempli, et on ne sait pas trop à quoi va ressembler la suite.